Alpine et le rallye. Une berlinette en travers dans la montée du Turini au Monte Carlo. C’est souvent la première image qui nous vient en tête lorsque l’on évoque la marque. Aucune autre marque à part peut-être Lancia, a une telle attache avec une discipline.
Depuis 1970, Alpine mise tout sur le Rallye et même si Alpine a concouru sur tous les terrains, du Mans au Dakar et demain la F1, cette association avec le rallye est inaltérable.
Cette année 2021, verra le retour d’Alpine dans cette épreuve mythique. Et quel retour ! En outre les pilotes Pierre Ragues, Pierre Astier, ou encore le Champion de France 2RM Manu Guigou. Esteban Ocon, le pilote Alpine F1 ouvrira les deux première épreuves au volant d’une A110 S. Alpine a décidé de marquer le coup.
Le Monte Carlo, une épreuve mythique.
Je ne vais pas revenir sur l’histoire d’Alpine en rallye, nous allons nous concentrer sur le Championnat de Marques 1971 et plus particulièrement le 40ème Rallye de Monte Carlo.
Le Championnat International des marques prend la suite du Championnat Européen des Marques entre 1970 et 1972. Ce championnat avec très peu d’épreuves était taillé pour attirer un maximum de constructeurs et une distribution des points simplifiée. Pour l’édition 1971 s’ouvrant sur le rallye de Monte Carlo et se finissant par le RAC, on compte 9 épreuves (8 seulement comptant au final, la coupe des Alpes remportée par Bernard Darniche sur Alpine ne réunissant pas assez de concurrents pour la FIA ne donnera pas de points).
Le Rallye de Monte Carlo a une aura particulière. Depuis 1911, il fait partie de ces rallyes mythiques que tout le monde connait, même les non amateurs. Déjà rien que la couverture médiatique est impressionnante et un règlement qui s’adapte de saisons en saisons, entretenant l’intérêt pour une compétition que d’aucun penseraient ennuyeuse. Cependant le plus vieux rallye du monde garde, d’années en années, cette image.
Cette édition 1971 ne sera pas ennuyeuse, la météo va faire le tri parmi les participants.
Le Rallye Monte Carlo est constitué d’un parcours de concentration, qui draine les concurrents depuis les villes de départ, puis un parcours de classement (nouveauté en 1971). Un parcours commun et enfin le parcours final, une boucle en montagne. Cette année les villes de départ sont Oslo, Reims, Athènes, Almeria, Glasgow, Bucarest, Francfort, Marrakech (en remplacement de Lisbonne), Monaco et Varsovie. On compte 254 engagés.
Alpine arrive avec de grande ambitions pour cette saison 71.
Jacques Féret assisté de Jacques Cheinisse, le patron d’Alpine-Renaul-Elf inscrit pas moins de 6 berlinettes officielles. Les pilotes se nomment Andruet, Darniche, Nicolas ,Therier Vinatier et Andersson, fraichement arrivé. À cette « Dream Team« , il convient d’ajouter Neyret et Jacquemin en semi-officiels.
Cette année les Groupe IV vont être inscrites avec les 1600S avec un poids de 600kg pour les plus légères (les 1800 ne sont pas disponible pour le Monte Carlo). Face à cette équipe, les lourdes mais puissantes Porsche 914/6. Porsche est officiellement absent avec ses 911 S pourtant victorieuses l’année précédente. Lancia est aussi présent avec les redoutables Fulvia.
Un parcours de concentration épique.
Alpine une vague bleue au Maroc.
Alpine fait le choix de partir de Marrakech limitant ainsi les affres de la météo hivernale européenne. Et en fin stratège, Jacques Feret sait que le parcours de Marocain passe le premier au ralliement. Évitant de fait les conséquences des acrobaties probables des autres concurrents sur les routes de l’arrière pays niçois où il est très difficile de doubler.
Cependant il n’a pas pu prévoir qu’il allait neiger sur le Rif marocain. Cet imprévu rend la moyenne horaire de 90km:h compliquée. Mais l’équipe est rodée et le contingent de pneu clouté permet de surmonter cette épreuve. Afin d’éviter un carnage les organisateurs abaissent la moyenne à 80. Jacquemin connait un serrage moteur qui laisse planer un doute sur les chances de victoire des bleus encore une fois. Cependant les concurrents rejoignent sans encombre le port de Tanger et embarque vers l’Espagne.
L’Espagne, un passage sous haute tension.
De retour en Europe la traversée de l’Espagne n’est pas plus de tout repos. Bob Neyret qui est dentiste use de ses talent et du lot de bord pour soigner comme il peut les dents de sagesse de Jean Claude Andruet, alors que Bernard Darniche abime sa voiture en heurtant un chien errant. Arrive alors le moment ou les équipages doivent franchir le poste frontière.
Pour remettre dans le contexte l’Espagne est une dictature sous le joug de Franco depuis les années 30. On va dire pour rester poli que la situation est perpétuellement tendue. Lorsque Thérier arrive à la douane une file est formée. Craignant de perdre du temps il double la file par la droite et se présente à la barrière. Deux fonctionnaires sortent de leur cabine alors que le pilote et le copilote s’extirpent de leur véhicule.
Ils ont à peine le temps de sourire que Therier prend la gifle de sa vie et Marcel tombe KO avec un coup à l’estomac.
Les douaniers sortent leur armes alors qu’un gradé sors de son bureau et calme la situation. Les bleus s’en sortent avec quelques contusions et une belle frayeur.
Andersson habitué du Monte Carlo craignant justement ces embouteillages à pris le chemin des contrebandiers avec un poste frontière plus calme. Tellement calme que le douanier s’est endormi. Profitant du gabarit de l’Alpine il passe sous la barrière.
L’A110 la reine des neiges.
Le parcours de classement.
Le centre névralgique d’Alpine est installé comme tous les ans à l’Ermitage à Monaco. Tous les membres de l’équipe ont le numéro de téléphone de l’hôtel afin de faire remonter les informations. Et oui, ce monde sans téléphone mobile n’est pas si ancien. Seulement une coquille s’est glissé dans le numéro et l’intégralité des appels est redirigé vers un couvent.
Jacques Féret avait vu juste, il a neigé et la route autour de Monte Carlo est blanche. Sa stratégie s’est révélée payante. La route est semblable à la piste de Bobsleigh des JO de 1968 sauf que les tas de neiges cachent des pièges. Darniche avec son numéro de départ élevé en fera les frais lorsqu’il rattrapera une Lancia. L’orgueil du pilote rattrapé, les entrainera dans une collision inévitable. L’Alpine blessée retrouvera le parc fermé avec Mahé accroché à la porte pour ne pas la perdre.
En parlant de perte, Andruet a perdu son casque et s’en fait prêter un par DAF. Il perdra ensuite le contrôle de sa voiture, l’obligeant à parcourir une bonne distance en marche arrière avant de pouvoir faire demi-tour.
Ove Andersson lui part en trombe et prend la tête pour ne jamais la rendre. Un moment menacé par Thérier à cause d’une prise d’air à l’admission, le Suédois se débat jusqu’au septième secteur où Andruet fait parler la poudre. Bob Neyret casse un poussoir et préfère jeter l’éponge repensant à la casse de Jacquemin au Maroc.
Les Alpine ont déjà creusé l’écart, Munari 3ème se trouve déjà à 42s.
Le parcours commun.
Les leçons sont faites pour être apprises et le cloutage des pneus est cette fois judicieux. Andersson conserve son avance sur Waldegaard sur Porsche, le concurrent le plus dangereux. Thérier lui fait face à un embrayage capricieux, il gratifiera les spectateurs de glissades dont il a la maitrise. Sa Berlinette, contrairement à celle de ses équipiers, n’étant pas équipée, conformément à sa demande d’un différentiel à glissement limité.
Waldegaard fera montre de son talent en Ardèche autour d’Antraigues, finissant deux secondes devant Andruet.
Les étapes s’enchainent, Andersson casse son accélérateur et fini un secteur avec un moteur hurlant bloqué à 5000 tr/min et joue de l’embrayage et de la clé de contact pour garder le cap. Thérier passe devant à près d’une minute. Jacques Cheinisse transpire devant cette lutte qui risque de mener à une catastrophe.
Dans la chartreuse, le normand se fait reprendre par le suédois qui est deuxième à 4s alors que Munari revient dans la course. Le Monte Carlo ne se laisse pas conquérir si facilement.
La portion suivante va rebattre les cartes derrière les deux hommes de tête. La météo change et la route dégagée se retrouve couverte de neige. Personne n’a le temps de changer les pneus, Munari et sa Lancia laissent filer près de 2 minutes.
A la fin du parcours commun, ils sont cinq encore en course pour la victoire. Dans l’ordre Andersson Andruet, Therier, Waldegaard et Munari en trois minutes et demi. Cet écart n’est pas rédhibitoire comparé à maintenant.
Le parcours final de montagne.
Dès le départ, tous les prétendants ont le couteau entre les dents. Waldegaard emporte le premier secteur devant Thérier. Andersson est à 40s, Munari est « out« , le moteur de sa Lancia a déclaré forfait. Nicolas tape et doit lui aussi abandonner sur sortie de route.
Andersson ne veut pas voir sa future victoire au Monte Carlo s’envoler. Dans le Turini, le suédois met 28 secondes à Thérier. Ça pose la performance.
Andruet crève et laisse échapper plus d’une minute. Pour se refaire, Andruet tente de partir avec moins de clous. Il s’empare ainsi du septième secteur. Andruet enchaine les bons chrono mais Andersson contrôle Waldegaard et Thérier. Darniche lui n’arrive pas a obtenir les chronos qu’il veut se plaignant d’un moteur avec peu de répondant.
Les places sont maintenant à peu de choses près figées. La victoire va se jouer entre Thérier et Andersson. La dernière place du podium sera soit à Waldegaard ou à Andruet.
Larousse chez Porsche tente un coup de bluff en affirmant à Radio Monte Carlo qu’un risque de brouillard givrant est probable et Porsche montera les clous. Il se dirige vers son stand en disant à Waldegaard de chausser des racing. Le bluff ne prend pas chez les mécanos français qui prennent conseil auprès de Féret qui leur dit de chausser les racing. Thérier joue son va-tout. Callewaert se pose des questions existentielles tellement le normand file. Mais Andersson connaissant son adversaire ne lui laisse aucune chance et finit à 8s devant lui.
Alpine signe un triplé malgré l’égalité de Waldegaard et Andruet.
Jean Rédélé, fin communiquant fit reproduire la voiture n°28 aux détails près, en plusieurs exemplaires. Des autocollants aux traces de courses en passant par la boue, ses répliques parcourent le monde. Bref ne soyez pas certain d’avoir vu la vraie gagnante du Monte Carlo 1971 à l’époque. C’est même peu probable.
Et ironie de l’histoire, l’Alpine d’Andersson et Stone du rally de Monte Carlo 1971 fait partie des plus reproduites à toutes les échelles. J’en ai moi-même une Tamiya au 1/10 et le Kit Bburago et bien sur au 1/43 .