Arnage est passé : plein gaz…
Troisième, quatrième, légère courbe, « Maison blanche » en ligne de mire. Les freins sont fatigués, le second rapport a plié bagage il y a trois heures. Il est temps que ça se termine. A l’inverse des tribunes qui se sont remplis beaucoup de stands se sont vidés. La nuit a une nouvelle fois été le juge de paix. Dernière accélération avant la nouvelle chicane Ford. Les tribunes sont multicolores. Le moteur râle une dernière fois. L’embrayage ne supporte plus cette ultime sollicitation. Tant pis ça sera en troisième. La foule est debout. Malgré le bruit du moteur les spectateurs se font entendre. Sortie de la chicane Ford. Visuel sur l’horloge et les copains sur le muret des stands. Dernière accélération, le drapeau à damiers est agité. Les premiers sont déjà passés depuis quelques minutes mais c’est contre l’horloge que l’on se bat. La ligne est franchie, c’est enfin fini. 24 Heures….
…C’est déjà fini.
lire : Alpine A220 Première partie
Lire : Alpine A220 Seconde partie
Troisième partie : Constat d’échec
L’A220 n’est pas au point, le développement continue. Le principal défaut est la tenue de route. André de Cortanze prend une part importante dans l’évolution du programme A220. Trois voitures sont alignées au test du Mans en fin mars 1969. Si la silhouette générale n’est pas changée, deux affichent une particularité. Les radiateurs ont été déplacés à l’arrière. La réglementation permet la suppression du coffre et de la roue de secours. De Cortanze convainc Jean Rédélé de transférer du poids sur l’arrière.
Richard Bouleau préférait la solution avec les radiateurs latéraux. Les deux systèmes sont donc confrontés avec le même moteur, les essais feront la différence. La 28 sera conforme à la version 68. La 29 aura les ailerons mobiles et les radiateurs latéraux. La 30 sera un modèle 69. Mauro Bianchi participe à cette session test du printemps. Il est au volant de la numéro 30. Porsche est aussi présent en cette année 1969 avec sa 917… Malgré des ennuis de carburateur, Mauro bat son meilleur temps de 1968. Le lendemain, le sort s’acharne sur la famille Bianchi, le frère de Mauro, Lucien se tue au volant de son Alfa Roméo au bout de Hunaudières. Andruet se met au volant de la 1737 et manque de décoller dans la ligne droite. Au terme des essais, le principe des radiateurs arrière est validé.
Jacques Cheinisse ne cherche pas à ce que nous fassions des temps. Il veut savoir si on se sent d’attaque pour partir sur cette voiture.
Jean Luc Therier
En parallèle de ces évolutions aérodynamiques, le V8 retourne sur l’établi. Il manque de puissance (et de fiabilité). Une version à injection et 32 soupapes est étudiée. La puissance attendue est de 350cv.
Depuis 66 l’ouverture de la saison se fait à Monza, de nouveau trois voitures sont alignées. Grandsire et Andruet ne prendront même pas le départ avec 1731 toujours à la mode 68, l’embiellage en a décidé ainsi. De Cortanze sur 1736 va rencontrer des soucis directement liés à la nouvelle configuration de la voiture. L’écoulement de l’air sur l’arrière du capot se fait mal. Un phénomène de bourrage se forme et l’air ne traverse plus les radiateurs faisant chauffer la transmission à proximité. La boite de vitesses se bloque et le joint de culasse claque… Le dernier équipage est en lutte pour la quatrième place. Patrick Depailler entre contact avec une Lola à Lesmo. L’A220 traverse la piste et se désintègre dans le talus. Le pédalier sera retrouvé à 20 m de l’habitacle. Depailler est légèrement commotionné. La 1735 est détruite mais est quand même classée cinquième.
La voiture tournait bien.
Patrick Depailler après son accident à Monza
L’équipe enchaine avec Spa. Une nouvelle voiture est assemblée pour remplacer la 1735. Elle est confiée à Andruet et David van Lennep. De Cortanze et Vinatier retrouve la 1736, Jabouille et Grandsire sont au volant de mamie 1731. Seul Andruet voit l’arrivée malgré un moteur transformé en théière. L’épreuve mancelle s’annonce difficile encore une fois.
Le mans 1969
- Chassis 1731: Nicolas-Thérier n°31 (Blanc)
- Chassis 1734: Grandsire-Andruet n°30 (Orange)
- Chassis 1736: Depailler-Jabouille n°29 (Vert)
- Chassis 1737: De Cortanze -Vinatier n°28 (Jaune)
Le nouveau moteur Gordini est aux abonnés absents tout comme la nouvelle suspension à plat de Richard Bouleau. Les A220 ont pris 60 kg. Il n’y a que mamie qui garde la ligne. Les peignes sont définitivement abandonnés. Les ailerons sont obligatoirement fixes; le règlement ayant évolué encore une fois.
Participant fidèles au Mans, Alpine ne fait pas l’impasse pour autant. Même si l’équipe compte plus sur les petites cylindrées que sur les 3L.
Étonnamment ce sont les rallymens Thérier et Nicolas débutant sur les grosses cylindrées qui ont réalisé le meilleur temps sur 1731.
Jacques Cheinisse insiste pour que ses coureurs bouclent leurs ceintures. Thérier désapprouve, estimant que les autres allait le distancer immédiatement. Alors qu’il se trouve sur son rond de départ il voit Cheinisse sur le muret derrière la voiture, pas le choix…. Ainsi pris de rage Jean-Luc Thérier entame une fantastique remontée en troisième file à 280km/h dans la terre. Si bien qu’il récupère sa place devant les autres trois litres. À la huitième heure alors qu’il devance Ickx le joint de culasse rend l’âme. C’est l’abandon.
Première à abandonner la voiture de Grandsire et Andruet abandonne à 18h, les appoints d’eau n’y feront rien.
En 1969 je cours les 24h en compagnie d’Henri Grandsire. Mais c’était une voiture qui ne nous convenait pas, elle nous faisait peur.
Jean Claude Andruet.
Alors que le rythme de course est bon, l’arrière de la voiture de De Cortanze s’affaisse. Les écrous ont cédé. Il remet la roue tant bien que mal mais un commissaire de course l’arrête. Aussitôt la foule se masse et intervient sur la voiture, le commissaire lui-même donne le dernier coup qui remet la roue en place. La magie d’Alpine opère. Cependant en vain, la numéro 28 casse son moteur au milieu de la nuit au niveau de Mulsanne.
A la fin du premier tour, Jabouille assiste à Maison Blanche au crash de la Porsche de Woolfe, il traverse le feu et doit s’arrêter car l’A220 prend elle aussi feu. C’est recouverte de neige carbonique qu’elle arrive à son stand pour une remise en état. Comme à Spa les vibrations du moteur mettent à rude épreuve les boulons de maintien des échappements. Au petit matin la seule survivante des 3L pointe à la 11ème place. Mais le moteur décide que s’est suffisant à 6h30 c’est l’abandon.
Sur les 8 Alpine engagées seule la petite 1000 cm3 rejoint l’arrivée. Maigre consolation elle remporte l’indice de performance. Malgré leur déficit de puissance en retrait de 30% par rapport à leur concurrentes et leur manque cruel de fiabilité, les A220 ont pu démontrer leur potentiel en tournant dans des temps proches et atteindre 310 km/h. Seulement Renault est las de ces résultats. La Régie coupe court au Sport-Proto et dirige Alpine vert un seul challenge le Rallye. C est ainsi que s’achève l’aventure du dernier prototype développé par Alpine. La suite se fera sous le contrôle complet de Renault dès 1970. Nous reviendrons bientôt sur le projet A44x.
La DEUXIÈME vie de 1731
La vie de l’ A220 ne se termine pas pour autant avec ce désastre du Mans. Un des protos est modifié afin de tester le concept d’ un véhicule de circuit adapté aux courses sur routes, à l instar de ce que Matra à fait.
Vinatier prend donc le volant de 1731 à Nogaro dans cette version raccourcie permise par la position des radiateurs restés latéraux. Elle se classera deuxième derrière une Porsche 908.
Elle participe ensuite au championnat de la montagne à Chamrousse toujours avec Vinatier aux commandes. Elle termine troisième au scratch et première de sa classe.
Elle est enfin préparée pour le Critérium des Cévennes. Ce rallye routier nécessite de faire immatriculer la voiture. Malgré la présence de deux alternateurs, Jabouille copiloté par Guenard, abandonne pour un problème de charge . Ça sera sa dernière sortie.
Et maintenant?
Voici l’état des effectifs après ces deux saisons.
- 1730 détruite Nürburgring 68
- 1731 est dans une collection privée en Angleterre
- 1732 détruite Le Mans 68
- 1733 détruite Le Mans 68
- 1734 état incertain mais visiblement a servie de banque de pièces.
- 1735 détruite Monza 69
- 1736 tourne en historique
- 1737 testa une suspension à double poussée et une boite 6 vitesses Gordini et le moteur 32 soupapes. Collection privée en France Enregistrée comme A222
- 1738 ne courra jamais servie de véhicule de développement en 69 et tourne en historique
A220 pour enfants
En 1968 à la demande de Renault fut construite une cinquantaine d’A220 pour enfants. Équipées d’un moteur de bétonnière de 75 cm3 elles emprunte une bonne partie de leurs pièces à la gamme Renault de l’époque comme toute Alpine. Ainsi on retrouve des triangles de R8 une crémaillère de R16 et des freins de R4 qui ont pour charge d’arrêter cette Alpine de 100Kg et de 2m de long.
Laissons le mot de la fin à Mauro Bianchi que je partage complètement.
Tout le monde ne partagera pas mon opinion, mais je reste persuadé que cette A220 est une des plus belles voitures de son époque.
Mauro Bianchi
Nous lançons un appel aux propriétaires actuels qui seraient prêts à nous rencontrer afin que l’on puisse faire un reportage lors d’une course ou dans leur collection. En tant que fans inconditionnels de ce modèle nous serions plus que fiers de pouvoir les approcher. J’ai eu la chance d’en mettre une en pré-grille au Mans Classic 2018. Vous pouvez juger mon sourire de môme…
Je tiens aussi à rendre hommage à la famille Bianchi, qui a tant donné au sport automobile.