Depuis 2013, la marque française Alpine a fait son retour aux 24 Heures du Mans, encore présente cette année avec sa A470 Signatech engagée en LM P 2. Retour sur ses débuts sur la piste mancelle après les saisons 1963 et 1964.
Pendant l’hiver 1964, le service course s’active comme une ruche. Hubert fait un grand pas en avant en équipant la M 64 d’un becquet arrière qui va lui apporter enfin la stabilité et la tranquillité à ses pilotes. Elle est épaulée par la M 65 qui se distingue de cette dernière notamment par ses longues dérives arrière style CD 1964 améliorant sa meilleure tenue de cap.
Sous la bulle arrière, il y a un nouveau 1300 dérivé du 1000 cm3 de la F2. Ce double arbre à carter sec (type 58), monté en position incliné, est censé développer 130 ch qui lui permettent de filer à plus de 250 km/h dans les Hunaudières. C’est là que se faisait la différence à l’époque.
Il faut dire que les Alpine sont en priorité dessinées pour la piste mancelle et l’endurance ce qui ne les empêche pas de participer à d’autres épreuves de courte durée. Mais leur poids relativement élevé (675 kilos), leur mauvaise visibilité et leur encombrement (4,35 m) les rendent moins agiles que leurs rivales Abarth.
C’est avec beaucoup d’espoir et d’ambitions que six Alpine panachées entre M65, M 64 et M63 B modifiée (châssis tubulaire) prennent le départ de cette 33eme édition marquée par l’apparition des Ford 7 litres. Des voitures très rapides avec 330 km/h et dangereuses pour les petites voitures bleues qui ne doivent absolument pas rester dans leur sillage destructeur lorsqu’elles se font déborder avec presque 100 km/h supplémentaires. C’est la plus véloce, la 1300 de Bianchi et Grandsire qui ouvre la liste des abandons victime de sa boîte devenue trop fragile et la moins rapide engagée en GT qui résiste jusqu’à 3 heures de l’arrivée.
Six Alpine au départ, zéro à l’arrivée !Alpine court après trop de lièvres à la fois avec son programme rallyes, monoplace et endurance avec un personnel pas uniquement dédié à la course et beaucoup trop réduit en nombre. C’est pour cette raison que Boyer claque la porte au milieu de l’année, las de travailler 15 heures par jour, pour partir chez Matra.
Chez Alpine le climat est houleux et les ressentiments nombreux à l’heure du bilan.
Des remises en question
D‘autres problèmes sont récurrents. Six voitures exigent douze pilotes de qualité très inégale. Par manque de moyens financiers, la petite marque engage « à la pige » des spécialistes de l’endurance.
Des hommes sûrs mais moins véloces que les deux pilotes officiels ; Henri Grandsire et Mauro Bianchi épaulés dès 1967, par le très rapide Patrick Dépailler qui qualifiait certains pilotes d’endurance d’Alpine de « chauffeurs de taxi ».
Je ne vous citerai pas les noms qu’il m’avait glissés !Ajoutons le problème de Gordini en contrat avec Renault. Pour ses autres disciplines, Alpine fait appel à des motoristes comme Marc Mignotet ou le Moteur Moderne. Et les pilotes peuvent comparer. Justement Alpine s’est livrée à une expérience intéressante en engageant un faux proto M 64 en catégorie GT dans cette édition 1965. Il s’agit en fait d’un châssis à essieu brisé de la GT4, Berlinette à 4 places, habillé d’une caisse de M64.
Qualifiée de sauterelle à cause de suspension arrière oscillante faisant « bravo » malgré des qualités dynamiques bien inférieures aux vrais prototypes, « la Sauterelle » s’est montrée étonnamment véloce.
Pourtant elle n’est équipée que d’un 1108 cm3 culbuté de R8 Gordini donné pour 110 ch par son préparateur Mignotet. En fait, il marche aussi fort que le 1300 double arbre 130 ch de Gordini qui, en bon Italien annonce toujours des puissances très supérieures à la réalité. Mais pas question de casser le mythe du sorcier que Renault utilise comme ambassadeur de la marque. D’autant que Gordini est un type adorable.
La victoire à la régulière, au 500 km du Nurburgring, d’une M 65 pilotée par les frères Bianchi face à une armada d’Abarth prouvera que lorsqu’elle est soigneusement préparée et bien conduite, l’Alpine peut rivaliser avec des voitures plus puissantes
Un époustouflant 200 km/h de moyenne
Pour la saison suivante la nouvelle voiture ne s’appelle pas M 66 comme ou pourrait l’imaginer mais A 210 car Rédélé veut calquer sa codification sur celle de ses voitures de production A110. Gordini a trouvé en partie les chevaux qui manquaient au 1300 et planche sur une motorisation 1500 qui, hélas, ne sera pas prête pour le Mans, atermoiement qui provoquera encore quelques dissensions au sein des divers partenaires. Bouleau a encore rigidifié le châssis, amélioré l’aérodynamique et encore retravaillé la suspension dans le sens de la souplesse ce qui explique que les Alpine virent toujours spectaculairement en levant leur roue avant extérieure. Pour l’endurance, une boîte de vitesses de Porsche 911 retournée remplace les fragiles Hewland.
Aux essais du Mans 1966, Bianchi qui est le plus vite de la bande signe un chrono époustouflant. Il faut dire que le Belge au pilotage très spectaculaire adopte des réglages spécifiques (suspension très dure) peu appréciés par ses coéquipiers à qui il les impose. Il réalisera toujours ses records entre 12 et 14 heures. Horaire où la température est la plus élevée et théoriquement où la carburation est pourtant la moins bonne à cause de la densité de l’air inférieure. Bianchi s’est rendu compte que la résistance à l’avancement réduite permet à la petite voiture bleu métallisé d’avancer plus vite. Un secret qu’il gardera longtemps.
Il réalisera un stupéfiant 200 de moyenne (4’ 00’’,9’) au tour au volant d’une M 65 allégée au 1300 affuté qui dispose de 130 vrais chevaux. Un record qui fera du bruit car se situant à 3 secondes seulement de la meilleure Porsche Carrera 6 de 220 ch : une Alpine en dérive partout, avalant la courbe Dunlop dans une interminable glissade. Il m’avait expliqué la raison de ces records
« Ce n’était pas gratuit mais pour conditionner la Régie pour qu’elle nous donne l’accord pour faire un moteur de 2,6 l. Car si on faisait 200 de moyenne avec un 1300 en dépassant 250 km/h, on imaginait pouvoir rouler à 400 km/h avec un plus gros moteur !»
En juin, Alpine engage six voitures qui lavent l’échec de l’année précédente puisque la plus véloce termine à une excellente 9eme place en parcourant 4185 km à 175 km/h de moyenne tandis que celle qui se classe 11eme accroche l’indice énergétique.
Quatre voitures à l’arrivée !
Ce résultat positif le rapproche de Renault. Désormais les Alpine décorées du gros losange sont des Alpine Renault. De plus le service compétition de la Régie de Jacques Féret travaille en meilleure osmose et répartition des tâches avec celui d’Alpine dirigé par Jacques Cheinisse.
Décevant 3 litres V8
Portée par le succès, la marque bleue n’engage pas moins de huit voitures au départ de l’édition 1967.
Peu de modifications par rapport aux précédentes avec des roues plus larges qui exigent des carénages de roues à l’arrière. C’est Michelin qui chausse désormais la firme. Hubert refuse de modifier l’aérodynamique très performante alors que Bouleau souhaite adapter des roues de 15 pouces contre 13 pour accueillir des disques plus importants car le freinage devient de plus en plus juste face à l’élévation des performances.
Que faire ? Michelin invente le pneu de 15 qui a la dimension extérieure d’un 13 pouces en rognant sur la hauteur de flanc. C’est le premier pneu à bas profil qui innove également par son absence de sculptures. Pas encore baptisé slick, il déroute les commissaires techniques car mêmes neuf il semble usé.
Cette fois le 1500 est enfin prêt et ses 145 ch permettent de tutoyer les 265 km/h. Les cylindrées sont réparties entre 1000 cm3 et 1500 cm3. Quatre connaîtront le drapeau à damiers en accrochant la 9eme, 10eme, 12eme et 13ème place.
Un fabuleux résultat (voir la pub) mais qui passe au second plan au sein du combat des titans qui oppose Ford à Ferrari. Une victoire à l’indice n’est plus suffisamment porteuse.Renault a enfin donné le feu vert à Gordini pour élaborer un moteur de 3 litres dévoilé mi 1967.
Il s’agit d’un V8 qui se signale par la simplicité de sa conception, sa compacité mais aussi par son dessin daté. Il est testé fin 1967 dans un proto A210 rebaptisé A 211. Hélas le bel équilibre de cette dernière est pollué. Mal équilibrée, elle est trop lourde et a perdu en aérodynamique et son V8 annoncé pour 310 ch en délivre seulement 280.
Le torchon brûle entre Rédélé et Gordini !
Renault qui appuie financièrement Alpine demande de nouveaux protos qui seront baptisés A 220 toujours dessinés par Bouleau et Hubert. S’ils reprennent la silhouette générale des sœurs aînées, ils sont plus rigides, plus bas, plus longs, et surtout plus beaucoup larges avec une direction à droite. Heureusement le Mans est repoussé en septembre car l’A220 manque salement de mise au point.
Pour la première fois, chez Alpine on découvre les problèmes aérodynamiques qui voient le jour à partir de 300 km/h. Ils coûteront la vie à beaucoup de pilotes ces années là dont Lucien Bianchi. L’Alpine souffre d’un grave manque d’appui sur le train avant ! La marque n’engage pas moins de neuf Alpine au Mans 1968 réparties entre nouvelles 220 et 210 1500, 1300 et 1000 cm3 auxquelles il faut ajouter deux Berlinette 1300 privées.
Mais il y a une grosse disparité entre les dix-huit pilotes. Certains jeunes rallymen découvrent la conduite de nuit d’un proto à plus de 250 km/h dans les Hunaudières dans des conditions automnales. Bianchi se souvient. « On était moins rapide que la Matra 630 qui disposait de près de 100 ch de plus. On m’a demandé d’aller plus vite et je suis parti comme un fou. J’ai réussi à descendre mon record du tour à 3,43 contre 3,41, 8 pour la Matra.
C’était une folie !
On oublie aussi de dire que pendant les premières heures de course, l’Alpine était devant la Matra ». Il n’en reste pas moins que l’A220 apparaît très instable et dangereuse avec une tendance à délester son train avant sur la bosse des Hunaudières. Des pilotes de la 3 litres se souviennent qu’après celle-ci, ils ne sentaient plus leur direction pendant une centaine de mètres ce à 300 km/h ! Très angoissant. Lors de cette édition, Bianchi sera gravement brûlé et cet accident sonnera le glas de sa carrière de pilote.
Déroute au Mans 1969
Ces 24 heures vont s’achever en demi-teinte pour la firme bleue avec pourtant cinq voitures à l’arrivée cumulant une victoire à l’indice énergétique et l’indice de performance.
Les 3 litres ont déçu puisque l’unique rescapée victime de nombreux arrêts se classe 8ème. Tous les spectateurs n’ont eu d’yeux que pour la Matra 630 qui a failli s’imposer avant de crever un pneu.
Désormais c’est la marque qui va attirer tous les projecteurs sur elle au détriment d’Alpine. C’est l’histoire de Bonnet à l’envers !
Pour 1969, Gordini affute son V8 donné cette fois pour 320 ch qu’on opposera aux 420 du V12 Matra. Mais l’injection et les 4 soupapes par cylindre promis n’arriveront jamais ! L’A220 modifiée avec la suppression des radiateurs latéraux repoussés à l’arrière, montre une tenue de route que certains de ses pilotes trouveront pire encore ! Toutes les 3 litres seront victimes d’une surchauffe chronique qui les éliminera. Sur huit Alpine engagées, une seule animée par un 1005 cm3 terminera à la 12eme place avec à la clé l’indice de performance qui n’intéresse plus personne.
La musicale Matra 650 classée 4eme qui aurait pu s’imposer sans quelques ennuis a fait battre le cœur des Français sevrés de victoires depuis 25 ans.
L’ambiance devient étouffante chez Alpine. Chacun des acteurs, ingénieurs, pilotes et motoristes, pétrolier (Elf) rejette sur l’autre les causes des mauvaises performances. Renault qui a son mot à dire estime qu’Elf favorise Matra. Il met fin au programme piste d’Alpine. La marque quitte la piste pour la route pour le rallye avec le succès qu’on connaît. La suite bientôt !
La petite équipe travaillait sur trop de programme à la fois. Ici c’est sur une monoplace Alpine de F2 dont on distingue le double arbre Gordini.
Participation d’’une Alpine engagée en GT au Mans 1965. Sa carrosserie de M64 habillait un châssis de série de GT4 (roues de R8) qui lui avait valu son surnom de « Sauterelle » à cause de sa suspension arrière oscillante.
Apparition de la M65 qui se reconnaissait à ses longues dérives stabilisatrices et ses moustaches d’aile d’inspiration Mercedes améliorant le braquage des roues.
Pilote très rapide, mais sous estimé, Henri Grandsire fut victime de son physique séduisant qui lui faisait faire de la pub et de la télévision. Il interpréta le rôle de Michel Vaillant en 1967 à la Télévision.
Formidable publicité Publicis Renault suite aux victoires de 1966 : le litre d’essence le plus rapide du monde.
Le Gordini 1300 type 58. Alimenté par 2 carburateurs Weber de 40, il donnait 125/130 ch en 1300 et 145 à 150 ch sur le 1500 dont les dernières versions recevaient une injection à la place des gros Weber de 4595 Pour aller plus vite l’A210 reconnaissable à ses prises d’air à l’avant accueillait des enjoliveurs flaqués à l’avant et des carénages de roues à l’arrière.
Elle se classa 13ème au scratch en 1966 avec Bianchi associé à Vinatier. Patrick Depailler a connu les deux périodes d’Alpine en débutant en 1967 au volant d’une petite 1000 de 100 ch pour terminer avec la A443 riche de près de 530 ch en 1978.
Juillet 1967, Gordini présenta enfin son V8 à Rédélé. Un moteur très compact (60cm x 60cm) étudié pour avoir une utilisation en tourisme. Peu puissant (280 ch), peu fiable, destructeur d’organes périphériques, il s’avéra décevant ! Jean Luc Thérier associé à Bernard Tramont découvraient les pièges du Mans en septembre 1968.
Ils remportèrent cependant l’indice énergétique.
Départ du Mans 1968. Devant la A210 1500 chaussée en Michelin de Leguellec et Serpaggi, on reconnait Christian Ethuin, le regretté Denis Dayan, Amédée Gordini, et Jean Pierre Jabouille, Bernard Lagier révélé par la coupe Gordini et Jean Luc Thérier.
Premiers tours de roues pour la A211 V8 identifiables à ses grosses roues, ses moustaches et ses importantes prises d’air arrière
A Dieppe, la préparation des voitures de course côtoyaient les voitures de série dont la production accrue avait exigé une nouvelle usine en 1969. L’A220 de 1968 est distinguable par ses larges radiateurs arrière. Plus compacte que la A210 mais plus large, elle pécha par ses gros problèmes aérodynamiques. L’A220 offrait une très jolie silhouette avec ses larges découpes de porte.
Pour essayer de rendre la voiture plus sécurisante, Alpine fit de nombreux essais de becquets et d’ailerons plus ou moins mobiles que le règlement interdira en 1969 comme celui-ci. On distingue les radiateurs dans la partie arrière. L’A220 version 69′ à une carrosserie plus fine car les radiateurs ont quitté leur emplacement latéraux pour le porte à faux arrière. Ils furent les responsables du mauvais refroidissement des A220 cette année là.
Bonjour et merci pour cette belle rétrospective de la marque.