L’annonce du partenariat entre le Alpine F1 Team et Mercedes-Benz pour la fourniture de moteurs et de boîtes de vitesses à partir de 2026 marque un tournant historique.
Cette alliance signe un rapprochement inédit entre une équipe historique, qui a toujours mis en avant son indépendance technique, et l’un des motoristes les plus puissants de la grille. Mais ce choix, bien qu’il puisse donner un avantage en matière de compétitivité à court terme, soulève des inquiétudes profondes sur la préservation de l’identité technique et industrielle d’Alpine.
En transférant la conception des moteurs à Mercedes, Alpine pourrait risquer la perte de l’expertise historique de Viry-Châtillon, accumulée depuis les débuts de Renault en F1 en 1977. Cette transition, si elle n’est pas accompagnée de solides stratégies de préservation et de transfert des compétences, pourrait signifier la fin de ce qui faisait la singularité technique d’Alpine en F1.
L’euphorie du double podium au Grand Prix de São Paulo est déjà bien loins…
Enstone en difficulté : une nécessité de restructuration urgente
Si ce partenariat avec Mercedes semble être la meilleure solution technique à court terme, il met en lumière les faiblesses organisationnelles d’Enstone, le centre névralgique du développement des châssis d’Alpine F1 Team.
En 2024, une initiative de Flavio Briatore visant à réformer les équipes d’Enstone a conduit au départ de 300 personnes, une démarche radicale pour assainir la structure et améliorer l’efficacité (source: Motorsport). Ce ménage de printemps a révélé des lacunes organisationnelles profondes, alors qu’Enstone peinait à répondre aux exigences modernes de la F1, notamment en matière d’agilité et de compétitivité.
Les problèmes structurels d’Enstone sont illustrés par les difficultés techniques rencontrées avec le châssis de l’A524, qui affichait dès le début de la saison 2024 un surpoids supérieur de plus de 10 kg par rapport aux limites réglementaires.
Cet excès de poids, largement attribuable aux processus de fabrication et de conception du châssis, affecte la maniabilité de la voiture et réduit les possibilités d’améliorations sur les circuits exigeants. La surcharge pondérale limite également l’équilibre global de la voiture, compromettant ainsi sa compétitivité.
En l’état, il devient essentiel pour Enstone de moderniser ses processus de conception, de production et de contrôle qualité, afin de ne pas simplement suivre mais bien d’anticiper les évolutions de la F1.
Tout ne sera pas simple avec Mercedes
Le partenariat avec Mercedes implique une série de contraintes techniques nouvelles pour Alpine F1 team, qui devront être gérées avec précaution pour éviter une dilution de l’identité de l’écurie.
La boîte de vitesses, par exemple, sera intégrée en 2026 à l’ensemble des nouvelles transmissions développées par Mercedes, mais cette pièce critique n’est pas conçue spécifiquement pour répondre aux besoins d’Alpine F1 Team. En conséquence, des compromis devront être faits, notamment concernant les points d’attache de la suspension, les systèmes de refroidissement, et la répartition des masses de la voiture.
Les composants fournis par Mercedes affecteront directement la répartition des masses et la position du pilote dans la monoplace, des éléments cruciaux pour l’aérodynamique et le comportement en virage. Si Alpine F1 Team doit aligner sa conception sur ces spécifications, cela pourrait limiter sa capacité à adapter le châssis et à maximiser les performances de la monoplace sur des circuits variés.
La perte de flexibilité dans la conception pourrait entraver la capacité d’Alpine à réagir rapidement aux évolutions de la réglementation et aux défis posés par des circuits très techniques.
Quid de Viry-Châtillon ?
Pour le site de Viry-Châtillon, ce partenariat avec Mercedes marque la fin d’une histoire brutale et injuste. Depuis 1977, Viry était le centre d’excellence pour le développement moteur de Renault en F1. Ce savoir-faire, unique en son genre, a permis à Renault et, plus récemment, à Alpine F1 Team, de demeurer indépendants en matière de développement moteur.
Avec le partenariat de Mercedes, Viry-Châtillon devra se concentrer sur d’autres projets (voir Hypertech), comme le développement de l’Hypercar et les moteurs à hydrogène, réduisant ainsi son implication dans la F1.
Alpine F1 Team essaye de sauver les meubles en annonçant la création d’une « cellule de veille » à Viry, destinée à préserver les compétences techniques et à conserver la propriété intellectuelle en matière de développement moteur.
Cette cellule aura pour mission de sauvegarder les savoirs accumulés, mais l’efficacité de cette initiative suscite des doutes. L’histoire de Renault en F1 montre que les pauses de développement, bien que parfois nécessaires, sont des paris risqués.
Si l’on prend l’exemple du retrait de Renault dans les années 1980, c’est grâce à une équipe commando menée par Bernard Dudot que l’écurie a pu revenir avec un moteur V10 performant.
À l’inverse, l’expérience du moteur à 110° dans les années 2000, conçu sous « veille » mais rapidement abandonné pour son manque de compétitivité, rappelle les limites d’une telle approche.
Réglementation 2026 : L’expertise de Mercedes, une solution palliative
Les nouvelles normes de 2026 imposent aux motoristes de respecter des critères stricts en matière de durabilité, avec une architecture hybride qui combine une puissance électrique accrue représentant 50 % de la puissance totale et une limitation de la puissance thermique à 400 kW. Mercedes, en tant que fournisseur reconnu, est bien placé pour fournir à Alpine F1 Team les moteurs et transmissions capables de répondre à ces exigences environnementales et économiques.
Le fait de ne plus contrôler le développement du moteur réduit l’autonomie de l’écurie dans les choix techniques et stratégiques, transformant Alpine F1 Team en une écurie cliente dépendante des orientations de Mercedes.
Ce choix fait écho à une tendance qui pourrait compromettre l’identité technique de l’équipe, alors que les nouvelles exigences de durabilité auraient pu être relevées en interne par l’équipe de Viry-Châtillon.
Enstone : le dernier rempart pour préserver l’identité d’Alpine ?
Pour que ce partenariat ne se transforme pas en perte sèche de compétitivité et d’identité, Enstone doit impérativement repenser ses méthodes et sa structure.
La réorganisation initiée par Flavio Briatore et le départ de 300 personnes en 2023 témoignent des efforts entrepris, mais la route vers l’amélioration reste semée d’embûches. Si le site d’Enstone ne parvient pas à moderniser ses pratiques et à optimiser le développement du châssis, Alpine pourrait peiner à faire face à la concurrence, même avec le moteur Mercedes.
La restructuration d’Enstone ne devrait pas se limiter au personnel ; elle devra inclure des investissements dans les technologies de simulation, d’analyse des données et de tests de conception. Cette refonte permettra à Alpine de gagner en agilité et en performance, en se dotant d’une structure capable de développer un châssis parfaitement aligné avec les moteurs et transmissions fournis par Mercedes.
Nous ne sommes pas adeptes de la propagation de rumeurs, mais celles concernant une éventuelle revente d’Alpine F1 Team ou une reprise par HiTech GP, notamment en lien avec le nouveau team principal Oliver Oakes, persistent depuis un certain temps. Bien que nous n’affirmions rien, cette rumeur reste tenace malgré les déclarations officielles d’Alpine.
Par ailleurs, il est clair que, pour certains fans de l’écurie (ou du moins de ce qu’il en reste), une telle revente ne serait pas vue d’un mauvais œil, notamment parce que l’écurie a perdu son identité française.
Une autre polémique alimente les discussions : la rumeur selon laquelle Franco Colapinto pourrait rejoindre l’équipe en 2024, prenant la place de Jack Doohan, pourtant membre de l’Alpine Academy. Cependant, il semblerait que Red Bull Racing soit finalement intervenu, offrant un chèque de 20 millions d’euros pour sécuriser Colapinto.
Conclusion : un pari courtermiste, une identité en suspens
L’alliance avec Mercedes est un compromis qui peut offrir des gains de compétitivité à Alpine F1 Team dans l’immédiat, tel un shot de sucre. Mais l’effet peut vite retomber.
Cependant, l’équipe doit impérativement travailler à préserver sa liberté technique et à restaurer les performances de son châssis à Enstone pour éviter de devenir une simple écurie cliente. Si Enstone parvient à se restructurer efficacement et à maximiser les gains offerts par Mercedes tout en préservant son identité, ce partenariat pourrait être bénéfique.
Toutefois, sans un plan de réintégration moteur clair pour l’après-2030, l’équipe pourrait définitivement perdre son autonomie.
Ce compromis sera-t-il un tremplin pour l’avenir ou bien un adieu progressif au savoir-faire français en F1 ? L’avenir d’Alpine F1 Team dépendra de sa capacité à redéfinir son rôle dans une F1 de plus en plus mondialisée et dépendante de partenariats stratégiques.
Source : Alpine F1 team