Le Tertre Rouge, c’est parti pour quatre kilomètres de ligne droite. Fond de cinq, pied au plancher, un œil sur le compte tour, ne pas dépasser 6000 tours/minute c’est la consigne…
Deux points rouges. 250km/h. Tels les yeux d’un démon, repères lointain dans l’obscurité.
260km/h. Les poteaux défilent et balisent le circuit, une lueur apparait sur les côtés : une maison.
270km/h. Les points rouges se rapprochent, c’est une GT. Les phares commencent à dessiner une silhouette.
280km/h la direction se fait plus légère. À cette vitesse peu de chance de se faire doubler mais réflexe du coup d’œil dans le rétro, un léger coup de volant, la GT est avalée.
290km/h. Le moteur gronde de plus en plus dans le dos. Bon sang, ils sont loin ces 300km/h. La bosse des Hunaudières est là. 1,5km avant Mulsanne.
295km/h. Le compte-tour approche des 6000 tours. Les coquilles Shell sur la gauche. Il est temps de freiner.
On réessaiera au prochain tour…
Partie 2 : 1968 un magnifique cauchemar
Alors que les premiers essais montrent les faiblesses de la voiture, Alpine et Renault rêvent de victoire. Renault vient de fermer son service compétition et mise tout sur Alpine. La publicité est autorisée sur les voitures de course et un nouveau sponsor apparaît, le trepan d’Elf prend la place de la coquille de Shell. Le losange s’affiche en grand sur les dérives et sur le toit. Jacques Cheinisse prend les rênes de cette nouvelle entité à condition de ne plus prendre le volant en compétition.
Les voitures se vendent bien et on se sent vite à l’étroit à l’atelier. Etienne Desjardins crée donc un service de montage spécifique aux A220 chapeauté par Claude Foulon.
Mai 68 perturbe les fabrications de voitures de série mais les mécanos de course ont pris soin de sortir les protos et les ont caché dans une ferme. L’accès aux pièces détachées se fait par un appartement à l’étage. Nous sommes en Normandie, les pommiers servent de palans pour accoupler les moteurs aux voitures.
Bianchi et Grandsire ont poursuivi la mise au point aux 1000 kms de Monza et finissent non classés alors que l’A211 finit troisième. Zeltweg ne sera guère plus reluisant. L’équipe prend la direction du Mans.
LE MANS 1968.
- Châssis 1731 : Guichet – Jabouille n°29 (vert)
- Châssis 1732 : Bianchi – Depaillé n°27 (jaune) engagée par Savin-Calberson
- Châssis 1733 : Grandsire – Larousse n°28 (rouge)
- Châssis 1734 : Vinatier – De Cortanze n°30 (Orange)
11 Alpine sont présentes dont 9 usines. C’est un record qui tient toujours. Toute la gamme est présente de l’A110 de série (ou presque) au gros prototype 3L en passant par les différentes versions de l’A210. Cependant, parmi les 310cv du V8 Gordini, beaucoup ont décidé de ne pas faire le voyage jusque dans la Sarthe. De plus, le peigne installé entre les dérives pénalise la vitesse de pointe. Les Porsche 908 sont loin devant. Jean Rédélé s’inquiète de l’organisation des stands pour gérer le bal des 20 pilotes et des mécaniciens.
Le Mans ? C’est le jour le plus long de l’année.
Jean Rédélé
Le décalage au mois de septembre implique des adaptations. Les conditions climatiques de Septembre ne sont pas comparable avec celles de Juin et autre chose bien plus importante pour une course d’endurance, les nuits sont beaucoup plus longues. Le circuit à été aussi modifié avec le virage Ford avant les stands. Les moyennes perdront ce que la sécurité gagnera. Le départ est lui avancé à 15h.
Patrick et moi avions fait une belle course. Nous naviguions dans les mêmes temps que la Matra de Pescarolo.
Mauro Bianchi
La pluie elle est présente et impose son rythme. Durant les premiers passages au stand, les pilotes sentent que ce ne sera pas de tout repos. Les flaques dans les Hunaudières soulèvent les voitures, Grandsire au volant de la 1733 est sorti de piste à Mulsanne au milieu de la nuit. Jabouille casse son alternateur et tombe en panne de batterie à 7h.
La 27 va guère mieux, elle montre des signes de fatigue à 11h. La voiture tire à droite, à gauche. Depailler pense aux freins. Les mécanos repèrent un disque fendu à l’avant. Une intervention est faite pendant que Bianchi s’impatiente. Les mécanos cèdent leur place, il saute dans son baquet actionne le démarreur et … rien. Le démarreur à rendu l’âme. Encore 40 minutes de perdues. Mauro ôte son casque, s’éloigne du stand et pense aux soucis accumulés dont cette perte de l’attache de porte au début de la nuit, sans compter les problèmes de mise au point.
Il est 11h40, Mauro quitte enfin le stand au volant de 1732. Il quitte les stand en trombe.
Le Tertre Rouge, il est temps de freiner. La pédale de frein s’échappe sous le pied, à 250km/h l’arrière bloque et l’A220 part en tête à queue. L’Alpine heurte les barrières et s’embrase, les réservoirs sont pleins. Son frère Lucien passe à se moment au volant de sa Ford GT et ignore l’état de son frère. Il continu sa course qu’il gagnera 4 heures plus tard. Une rivière de flamme traverse la piste au milieu des morceaux dispersés. La fumée envahit l’habitacle, plus de vision, bientôt plus d’air.
La chaleur qui devient fournaise contraste avec le sang froid que Mauro déploie pour se libérer de la ceinture de sécurité qui l’emprisonne. Il parvient à ouvrir la porte et s’écroule hors du brasier alors que les secours arrivent. Il ne courra plus en compétition.
Avec cette histoire de démarreur, j’ai oublié de pomper sur la pédale avant d’entamer mon freinage.
Mauro Bianchi
Seul le tandem de Cortanze-Vinatier réussi à ramener la voiture au bout des 24h frôlant les 4000 kms et signant le meilleur classement d’une Alpine à la distance. Les anciennes A210 sauvent l’honneur en remportant les indices de performances mais sur le podium le cœur n’est pas à la fête.
15 jours plus tard, la 1731 et la 1734 sont les seules en état pour affronter les 1000 kms de Paris. Après avoir été classées 3 et 4 derrière les Porsche 908, Larousse sur la 10 s’arrête au stand pour changer les plaquettes et termine 6ème. Grandsire au jeu des pénalité finira 4ème.
En Novembre, l’équipe part au Maroc pour le Grand prix de la Corniche. Les Alpine sont favorites malgré la présence des Porsche. Les voitures sont confiées à De Cortanze et Guelfi. De Cortanze fait une course sans faute et mène de bout en bout. Guelfi tente de tenir le rythme mais sa boite souffre avant que le moteur rende l’âme.
Cette saison 68 est compliquée pour Alpine. La mise au point est délicate, le manque de temps pour fiabiliser les éléments masque les qualités de la voiture. L’accident de Mauro ne remet pas le programme en jeu. Les espoirs sont permis pour 1969.
Retrouvez la conclusion de cette aventure ici
Site bien fait et photos intéressantes et souvent inedites. Parfait pour le modélisme ! Merci et bravo.
Pascal