Alpine et Jean Rédélé s’inscrivent dans le roman national et sont comparables à Asterix. Petit, irréductible, résistant à un « ennemi » beaucoup plus grand et mieux équipé, et faisant de son manque de moyens une force grace à son ingéniosité et une dose de magie cela défini bien les Alpine et Asterix.
Le terme important ici est roman : tout à déjà écrit ou presque sur l’histoire d’Alpine et de sa naissance. Le problème avec une marque à laquelle les gens sont très attachés c’est que bien souvent la légende prends le dessus sur la réalité, où on ne garde que le meilleur et où on tord les faits quitte à en faire l’histoire officielle.
When the legend becomes facts, print the legend!
Quand la légende devient la réalité, imprimez la légende!
L’homme qui tua Liberty Valance -John Ford 1962
À l’occasion des 70 ans de la marque Alpine, je vous propose de revenir sur la naissance de la marque, des Rédélé Spéciales aux premières A106.
Au commencement, Rédélé créa la 4CV spéciale et une certaine idée de la voiture de sport.
Il y encore quelques années il était impensable de dire que Jean Rédélé n’était pas le génie à la base de tout chez Alpine que se soit dans les publications references, dans la presse magazine et encore moins dans le milieu des collectionneurs.
Avec ses multiples participations en course avec des Renault 4cv modifiées Jean Rédélé s’est fait un nom dans la galaxie des pilotes de 4CV. Sur toutes les terrains rallyes régionaux, Le Mans, et surtout les rallyes au long cours, Rédélé imprime son nom en haut des tableaux et fait de la 4CV la première d’un longue lignée de petites sportives françaises.
La 4Cv reste une berline de grande série avec les contraintes qui y sont liés, tant sa polyvalence que son aérodynamique ne sont pas tournés vers la performance mais sont le fruits de compromis.
Jean Rédélé, bien qu’appuyé par la Régie Renault qui fournit les moteurs préparés parmi d’autres améliorations techniques et par Claude qui équipe la puce de Billancourt avec des boites 5 vitesses, il atteint vite les limites de la familiale. Il lui faut donc s’attaquer à la carrosserie.
La 4cv va rester la base, fournissant sa plate-forme et ses trains roulants. Reste à trouver une carrosserie. C’est Giovanni Michelotti qui dessinera la voiture et Serafino Allemano qui la construira.
Jean Rédélé vient de se marier en décembre 1952 et quinze jours plus tard, le couple part en Italie pour effectuer son voyage de noces et revenir à bord cette Rédélé spéciale.
Elle est vite retouchée suite à des problèmes de refroidissement et ne le satisfait pas complètement. Il remporte le rally de Dieppe la coupe des Essarts et la coupe de la ville de Lisbonne. Il la revend rapidement malgré des performances en progression. La voiture est tres certainement détruite
Deux autres voitures sont commandées. La première voiture attirera l’attention de Zack Reed qui souhaite la produire pour les Etats-Unis via sa société Plasticar basée à Doleystown Pennsylvanie. Il a pour volonté de concurrencer les roadster anglais avec un et rachète un exemplaire de la barquette Rosier, mais aussi un coach en polyester. Contre la propriété de la licence de la voiture en polyester, Reed s’engage à fournir l’outillage pour produire les versions aluminium en France par Jean Rédélé.
Cependant ni le projet The marquis (Coach) et ni Rogue (Roadster) ne verront le jour et The marquis sera revendue à l’éditeur de Sport Illustrated, avant de revenir en France dans la collection Rédélé. Cet échec à l’international ne restera pas vain puisque Jean Rédélé saura rebondir sur tous les continents (voir ici).
Le second véhicule est lui vendu immédiatement à Galtier sur instance du beau père de Jean Rédélé qui lui parle d’un projet d’un carrossier en Region Parisienne.
Le manque de puissance du moteur de la 4cv, meme poussé dans ses derniers retranchements ne permet pas de lutter à armes égales face aux autres concurrents. De plus par patriotisme Jean Rédélé se refuse de choisir un moteur étranger pour équiper ses voitures.
La Sainte Trinité : CG/Escoffier/Rédélé
C’est à ce moment là que vont entrer dans l’histoire de nouveaux protagonistes. Jean Rédélé est marié depuis quelques temps à Michelle Escoffier rencontrée alors qu’ils partageaient le même cercles d’amis. Gérard Escoffier, beau-frère et client de Jean Rédélé, entretient des liens avec la maison Chappe installée à Saint Maur des Fossés, à laquelle il confie sa 4cv pour un élargissement des passages de roues.
Jean Gessalin et les trois frères Chappe, se sont associé à la sortie de la guerre pour fonder la Carrosserie Chappe Frères et Gessalin. Après une courte activité poids lourds , grâce à leur expertise et leur maîtrise de la fibre de verre, la société collabore avec de nombreux artisans et constructeurs tel que Deutsch-Bonnet, Panhard…
Jean Gessalin a suivi une formation de dessinateur/carrossier. Dans le cadre du compagnonnage, une tradition chère à sa famille, il s’est lancé dans la réalisation d’une œuvre. Son choix s’est porté sur la construction d’un coach sur base de Renault 4CV.
En juin 1954, dans le contexte de la guerre d’Algérie, il est appelé sous les drapeaux pour une durée de 30 mois. Lors d’une permission à Saint-Maur, il découvre que son œuvre a été achevée par les équipes du garage.
En découvrant le coach, Gérard Escoffier en parle à son père, Charles Escoffier.
Charles Escoffier est le premier concessionnaire Renault d’Ile de France. Installé à Brie Comte Robert et rue Forest à Paris il connait les velléités de son gendre Jean Rédélé de devenir constructeur automobile. Le prototype initial est présenté par Charles Escoffier au comité directeur de Renault en février 1955.
Après approbation et sous condition de ne pas faire apparaitre le nom de Renault, Jean Rédélé commande une petite série avec des ajustements inspirés des Rédélé Spéciales, à Chappe et Gessalin.
Chappe et Gessalin se chargent de produire les véhicules qui doivent être présentés rapidement.
Que l’A106 soit…
Et l’A106 fut… présentée dans la cour du siège de Renault à Boulogne-Billancourt au début de juillet 1955 avec trois exemplaires de l’Alpine A106, peints en bleu, blanc et rouge pour représenter le drapeau français avec une photo entrée depuis dans la légende.
Le modèle prend le nom d’A106, « A » pour Alpine et « 106 », en référence au code 1062 de la 4CV, utilisée pour ses composants.
Mais pourquoi Alpine ?
Il est souvent dit que c’est suite au plaisir que Jean Rédélé avait ressenti quand il pilotait ses voitures dans les Alpes ou encore suite à ses différentes victoires dans les régions alpines. Or dans une interview récente parue dans un Auto hebdo Collector de 2024 (voir ici), Michelle Rédélé précise qu’elle n’est pas étrangère au choix de ce nom.
…Ma soeur possédait dans les hauteurs de Marseille une maison appelée « les Alpilles ». Cela sonnait bien. Jean l’a adapté pour faire référence à la montagne donc c’est devenu « Alpine »…
Michelle Rédélé
Auto hebdo Collector 17
Bien que Jean Rédélé ne soit pas particulièrement fan du design des premiers modèles, il est fier de son accomplissement en tant que constructeur automobile indépendant.
D’un point de vue technique, l’A106 conserve le châssis et les suspensions de la 4CV. Le moteur quatre cylindres en ligne de 747 cm³ est disponible en deux configurations : l’une offrant 21 chevaux et l’autre 38. L’élément distinctif de cette voiture est sa carrosserie en polyester, fixée au châssis de la 4CV. Pour les options, on peut ajouter une boîte de vitesses à cinq rapports « Claude » ou une suspension « Mille Miles » avec quatre amortisseurs à l’arrière.
Jean Rédélé, propriétaire des Grands Garages de Normandie, devient le premier vendeur de ces véhicules. Toutes les coques d’A106 sont produites à Saint-Maur, tandis que les trains avant et arrière, ainsi que la mécanique, sont montés à rue Forest à Paris, siège de la société des Automobiles Alpine. Très rapidement Chappe et Gessalin ne peuvent suivre la cadence, de 25 unités commandées initialement, la demande va progresser fortement pour atteindre 250 exemplaires en cinq ans.
À l’arrivée de la dauphine, Jean Rédélé fonde la Société RDL au 40 rue Pasteur à Dieppe et commence à assembler les voitures et à fabriquer les carrosseries des cabriolets. L’histoire est lancée, la légende sécrit.
La naissance d’Alpine : une alliance providentielle pour le bien des pilotes.
Loin de moi la volonté de retirer à Jean Rédélé la paternité d’Alpine. Mais la réalité n’est pas aussi simple que la légende le raconte.
Sans Michelotti, le design n’aurait pas vu le jour, et sans Allemano, il n’y aurait pas eu de Rédélé Spéciale. Sans le soutien financier et le réseau influent de Charles Escoffier, imaginer la production ne serait qu’une petite série serait resté de l’ordre du rêve. Sans l’innovation de Jean Gessalin et des frères Chappe, pionniers dans l’utilisation du polyester et de la résine, les modèles A106 et A108 n’auraient pas existé. Et sans la stratégie marketing de Jean Rédélé, qui a eu l’idée de présenter au président de la Régie, les trois coachs A106 qui pavoisent en ce mois juillet 1955 la cour du bâtiment X, le projet n’aurait certainement jamais pris son envol.
C’est la rencontre entre plusieurs personnes animées d’une même envie qu’Alpine est née. Faire reposer la création de tout un univers sur une personne relève de la foi, le reste de l’histoire d’Alpine est suffisamment miraculeuse pour devoir en rajouter.
Cela dit , MERCI Jean Rédélé d’avoir été le catalyseur de toutes ces synergies.
© Photos Renault et DR
